21 mai 2014

L’organisation sociale et religieuse de la vie au Ladakh

Tous les articles précédents viennent d'être agrémentés de quelques photos... C'est déjà un peu plus vivant comme ça ! (Etre à Delhi à quelques avantages quand même... internet marche !)

A nouveau pendant une petite semaine, nous avons délaissé notre chambre douillette face aux montagnes, dans la banlieue de Leh, pour partir en trek, en amont de la capitale cette fois-ci. 2 heures de bus en longeant le fleuve Indus pour arriver à Alchi. Homestay et visite du très ancien monastère du 11ème siècle. Nous découvrons aussi l’énorme barrage hydroélectrique tout neuf qui vient d’être construit sur l’Indus.
Le lendemain, plutôt que de partir sur un long trek difficile et trop engagé en ce début de saison, nous commençons à faire du stop vers Likkir, un village de l’autre côté du fleuve. L’idée marche très bien, au point que Rigzin, nous amène même jusqu’en haut du très étendu village, il nous offre le thé (thé au lait bien sûr !) et échangeons quelques minutes avec toute la famille… avant de leur proposer notre aide pour les heures à venir. Durant deux jours, nous allons apprendre plusieurs étapes de la construction d’une maison tibétaine.

Un peu d’histoire, tirée d’un livre sur le Ladakh :
Pendant des siècles, l’Himalaya a servi de refuge à des cultures isolées. Parce que certaines vallées sont restées longtemps inconnues pour des raisons politiques et géographiques, elles ont gardé un caractère unique, préservant une culture bouddhique. Les seules régions où survit le bouddhisme tibétain aujourd’hui sont le Ladakh, le Spiti et le Lahaul, anciens royaumes qui font maintenant partie de l’Inde, le Nepal, qui mixent les religions hindoue et bouddhiste, le Sikkim, nouvel état indien et le Bhoutan, sur lequel règne un roi bouddhiste.

Le Ladakh avaient établi dans le passé des liens étroits avec Lhassa, si bien que, même aujourd’hui, leur architecture et leur mode de vie se rapprochent encore très étroitement de la civilisation du Tibet central. Le Ladakh est coupé en deux par l’Indus, fleuve qui a donné son nom à l’Inde, qui coule dans un paysage sauvage et arrose une large plaine en amont de la capitale, créant de rares oasis de verdure où serpente les anneaux bleu clair de l’Indus. Compris entre les deux chaînes de montagne les plus hautes du monde, celles de l’Himalaya au sud et du Karakoram au nord, les hauts plateaux ladakhis se trouvent à des altitudes comprises entre 2500 et 5000m, les plus hauts sommets culminants à plus de 7000m. En fait, l’altitude moyenne du Ladakh est de 4000m ! La barrière immense de l’Himalaya bloque les nuages et même la mousson, donnant naissance à un climat très sec, le pays est un désert presque parfait, un désert froid ! Dans cette vaste région du Ladakh, ce sont développés des grands monastères bouddhistes et des bourgades importantes, notamment autour du grand vallon de la capitale, Leh. Le Ladakh est aujourd’hui surnommé « Little Tibet ».

Bordé à l’est et au nord-est par le Tibet (région autonome chinoise que nous n’avons pas visité du fait des conditions d’entrée très stricte et surtout très chères pour les étrangers) et le Xianjiang chinois (la région par laquelle nous sommes entrés en Chine il y a 6 mois), puis par le Pakistan (tensions encore vives entre les deux pays concernant les frontières exactes, d’où la forte présence de l’armée indienne dans tout le Ladakh, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons grandement modifié notre parcours au début de notre voyage), le Ladakh occupe un position stratégique cruciale. Maintenue pour ces raisons à l’abri des visiteurs et voyageurs pendant plus de 25 ans, cette région fut ouverte au tourisme par le Gouvernement indien en 1974.

Dans un pays aussi froid, aussi sec, aussi rude que le Ladakh, un seul groupe ethnique a pu s’installer : les Tibétains ! Ils déploient des trésors d’ingéniosité, d’obstination et de bonne humeur pour vivre ici, à ces altitudes, dans le vent et le granit…
A noter qu’au Ladakh, contrairement à la plupart des états indiens, la division en castes n’existe pas. Riches, pauvres, noblesse et même le descendant des plus vieux rois du Tibet, se côtoient sans interdit, se rencontrent avec un salut et un sourire. Les serviteurs sont incorporés à la famille, ils mangent et dorment dans la même pièce que les maîtres pour partager la chaleur du foyer. Chacun a cependant conscience de son rang, un sens précis de sa place dans la société. Ensemble ! … Unité est un mot qui caractérise bien ce peuple de l’Himalaya.
Les ladakhis vivent dans des conditions très dures, en particulier dans les quelques 300 petits villages qui parsèment cette vaste région. Très attachés à leurs terres, les habitants sont groupés autour des ruisseaux de montagne pour créer des oasis et faire fleurir le désert…

Nous aurons passé 4 semaines au Ladakh, pile poil au moment du changement de saisons. Ici le rythme de vie est binaire : deux saisons se partagent l’année. Un été court et brûlant, un hiver interminable, glacé et mort. Dès que la neige fond sur les hauts sommets, en mai, l’eau court dans les canaux creusés entre les champs, les premiers brins d’herbe pointent, les arbres fleurissent.
Partout où nous sommes passés, ils ont capté chaque torrent glaciaire et chaque rivière, pour les diriger, les canaliser, grâce à des ingénieux systèmes de canaux d’irrigation qui longent les falaises puis les champs (avec alternance de l’ouverture des canaux pour que chacun en profite), avant de se déverser sur les terres établies en terrasse et séparées par les murets faits des nombreuses pierres enlevées des champs. Les paysans y cultivent l’orge (qui sert de base à la nourriture : farine pour la Tsampa et grains pour la bière nommée Chang), le blé (pour les chapatis) et la luzerne.
Derrière deux énormes dzos, hybride entre la vache et le yack sauvage, employés pour le difficile effort des labours, les paysages tracent des sillons en arc de cercle avec une vieille charrue en bois, en guidant les dzos au son enjoué de leur voix. Puis ils sèment l’orge qui mûrira très rapidement en 2 mois. Plusieurs familles s’entraident souvent. Il ne reste plus ensuite qu’à inonder trois fois les champs, à les désherber une fois, c’est le travail des femmes, jusqu’à la moisson (Nous reparlerons plus tard du rôle des femmes dans les cultures musulmanes, tibétaines,…). En septembre, les Ladakhis couperont leur orge à la faucille, avant le battage.
Reste le long hiver, quand l’eau manque, quand la terre est gelée et grise. Pendant 6 mois, la nature d’engourdit à l’exception du soleil qui, pendant quelques semaines, maintiendra encore un peu de chaleur. Les hommes et les femmes ne sont pas complètement inactifs, c’est le temps du filage et du tissage. Dans chaque maison, on confectionne les habits de laine, les cordes et les sacs. Tant que les huches sont pleines, on organise des rencontres, des banquets, on se marie, on fête une naissance. Jusqu’au Nouvel An, tout est prétexte à festivités et réjouissances. La vie sociale bat son plein avec la chang (bière locale d’orge fermentée) qui coule à flot. C’est ce que nous explique TT Namgail, 69 ans, les yeux qui brillent, chez qui nous dormons à Hemis-Supachan. Ce vieil homme a accueilli Pascale Dolffu, ethnologue française, venue plusieurs années au Ladakh pour étudier la société locale. Plus tard, des amis à lui ont permis à TT Namgail de visiter l’Europe pendant 2 mois. Il nous parle beaucoup, avec une sagesse profonde, il a conscience maintenant (au contraire de la plupart des asiatiques) que nous ne sommes pas mieux logé en occident, notamment sur la question de la recherche du bonheur. Nous apprendrons beaucoup sur la société ladakhie grâce à lui… d’où cet article aujourd’hui (en espérant que cela vous intéresse).

Viennent ensuite les mois maigres, où l’on vit chichement de peu qui reste ! On a eu soin cependant de mettre quelques provisions en réserve pour fêter dignement la fin des grands froids, en février. Entre-temps on se terre, un plafond de nuages et de grisaille donne au pays entier un visage de mort. Peu de travail, plus de banquet. Plus rien ne bouge, plus rien ne vit. Enfin le soleil revient, réchauffe peu à peu la terre et les sourires. Hommes et bêtes sortent de leurs cachettes. Tout change : déjà le sol a perdu ses couleurs blafardes, les coucous se répondent, les canaux d’irrigation se tapissent d’une mousse légère… Et c’est reparti pour un tour !!!
(Promis on reviendra en hiver, expérience extraordinaire à vivre…)

Ainsi, les quelques villages qui animent ce froid désert sont composés de grands cubes blancs passés à la chaux, qui se distribuent le long des vallons entre les grands champs, les bosquets d’abricotiers et de seabucktorn (qu’est ce que nous avons pu apprécier les jus de fruits et fruits secs de ces deux arbres) et les enclos pour les chèvres, moutons et dzos. Ces animaux fournissent lait, fromage, beurre et viande, et ainsi, le Ladakh vit dans une économie quasi-fermée, mais s’ouvrant de plus en plus vers la civilisation moderne, les jeunes partant vivre à la capitale ou vers le continent indien.

Nous assistons donc depuis plusieurs jours à tous ces travaux des champs, et aujourd’hui nous aidons la famille de Rigzin. Depuis notre arrivée, nous n’avons pas pu louper cette silhouette haute et fine des peupliers, tels des pinceaux. Maintenant, nous savons pourquoi il y en a tant, plantés en rangs serrés. Sophie écorce les branches de peupliers et Julien coupe à la hache les grosses branches qui serviront de poutres pour le toit, pendant que les petits morceaux de branches écorcées seront le support de la paille et de la terre qui font l’étanchéité.
Le jour suivant, ce sera avec Stanzin et son père que nous monterons les murs de briques de boue séchées, cimentés avec un mortier de terre crue. Puis l’après-midi, après une petite balade, nous coulerons une dalle de ciment et de terre dans la cuisine. Pendant ce temps, les femmes de la maison confectionnent des parures de mariage avec des turquoises, filent et tissent des vêtements de laine de mouton ou de yacks.

Le lendemain, nous marchons plusieurs heures pour atteindre le Monastère de Rinzong. Majestueusement accroché au fond d’un cirque de montagne, les moines et les jeunes élèves sont bien tranquilles ici pour méditer et étudier…
Encore au Ladakh, les moines sont très respectés, nous parcourons le monastère silencieusement, puis sommes invités à partager le repas avec tout le monde, nuit dans une maison en dehors du monastère, au réveil nous prenons le temps de visiter encore et d’échanger avec les moines.
Tous ces monastères bouddhistes renferment de vrais trésors d’architecture, d’art, et… humains !
La machine à remonter le temps continue de tourner…

Nous marchons toujours dans des paysages lunaires de toutes les couleurs, et découvrons régulièrement des oasis s’étendant tout le long du fond des vallées, en suivant les rivières… nous observons les maisons en terre crue, les monastères perchés, et la vie qui se déroule sous nos yeux…


















































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