Plusieurs anecdotes pourraient être adéquates
pour introduire cet article… je vais prendre des risques en choisissant
cette histoire, en espérant que votre ouverture d’esprit vous aidera
tous à comprendre la globalité de cette coutume tibétaine.
Ce
matin là, nous étions donc 5 amis à se sortir très tôt de notre lit
douillet à l’auberge de jeunesse de Langmusi, village touristique du
Plateau tibétain (Région du Sichuan, mais proche de la frontière du
Tibet). Nous avions entendu parler du « Sky Burial »… kesako ?! Le
ciel ? Le feu ? L’enterrement ? Renseignements pris sur internet… Les
funérailles célestes sont une coutume liée au bouddhisme et pratiquée
par les tibétains dans les régions du Tibet, du Sichuan, du Yunnan et de
la Mongolie Intérieure. Au cœur de la philosophie bouddhiste, nous
retrouvons les concepts d’impermanence et d’éveil. En effet, nous
pouvons tous constater que nos vies sont jalonnées de différentes
souffrances, causées en partie par l’impermanence de nos jobs, de nos
possessions matérielles, de notre richesse, de notre pouvoir, mais aussi
de nos relations, de nos émotions (positives ou négatives) et de la vie
tout simplement. Tout est changeant à chaque instant. En particulier
pour nous occidentaux, la plus grande peur de perte est souvent celle de
perdre la vie, de mourir… et avant cela, de vivre la mort d’un ami,
d’un proche. Or selon le bouddhisme, la recherche du bonheur passe
justement par la libération de toutes ces souffrances, jusqu’à la mort
d’un proche. A l’instar du Bouddha qui a réalisé l’ « éveil », en se
détachant de toutes les souffrances du monde, nous pouvons sortir du
cycle des réincarnations et vivre un bonheur permanent. Ainsi, si l’on
accepte la possibilité de réincarnation (ou de non-réincarnation
justement), ce corps de chair, de muscles et d’os nous sert de
« véhicule » le long de notre chemin semé d’embuches (de souffrances)
vers le bonheur, l’ « éveil » à la réalité de nos vies. Nul besoin alors
de se réincarner à nouveau dans un « véhicule », qu’il soit humain,
animal ou même végétal. Ou en tout cas, même si les boddhisattvas
reviennent sur Terre pour aider chacun vers son propre bonheur, le corps
humain n’a plus d’importance dès que l’on intègre l’idée de
l’impermanence de toutes choses.
N’étant
pas un expert du bouddhisme, et encore moins du bouddhisme tibétain et
de ces particularités, je tiens à préciser que le contexte planté
ci-dessus n’est qu’une synthèse de l’interprétation très personnelle de
mes lectures et expériences des dernières années. De plus, les
informations données sont donc parfois volontairement, parfois
involontairement incomplètes, mais à mon sens, suffisantes pour
comprendre ce que je vais vous raconter après.
L’aube
apportait donc les premières lueurs du matin quand nous franchissions
le grand portail décoré du Monastère de Sertri. Froid de canard. Un
chemin nous mène vers le sommet de la colline sur laquelle sont
construits les temps, les stupas et les maisons des moines. Plaines
herbeuses, forêts de conifères et montagnes acérées à perte de vue,
paysages tibétains ! Nous apercevons alors un grand espace couvert de
drapeaux de prière. Un chemin bien tracé nous y mène, quelques vautours
guettent notre arrivée sur la crête de la colline. Ces oiseaux semblent
en effet d’une envergure impressionnante, plus de deux mètres pour
certains ! Bon… le soleil se lève à peine et réchauffent enfin nos pieds
et nos mains mais l’ambiance est glaciale…
Nous
découvrons alors le lieu des funérailles… grosses pierres plates, très
nombreux couteaux, des haches… pas très engageant mais nous y étions
préparés… Les os (de toutes les parties de l’anatomie humaine) broyés et
même quelques morceaux de chair et des crânes finissent de parfaire
l’ambiance… nous montons nous asseoir plus haut sur la colline. Il est
déjà « tard », pas de cérémonie aujourd’hui…
Quoique…
quelques minutes plus tard, des 4*4 montent le chemin de terre… une
quinzaine d’hommes tibétains en sortent, des grands sacs tissés de
toutes tailles sont déchargés,… tout se passe très vite. Rapidement un
corps de femme est extirpé d’un des sacs… et déposé sur les pierres
plates. Des feux sont allumés et deux hommes commencent à entailler le
corps pendant que les autres agitent les grandes manches de leurs
vêtements pour éloigner les vautours qui désormais surgissent de toutes
parts en planant, bientôt des dizaines, des centaines d’oiseaux sont
posés sur la colline (Exactement là où nous étions assis plus tôt…
maintenant, nous nous faisons tout petit, assis à 150m de la scène). De
toutes les montagnes environnantes, des vautours volent vers nous…
Des
moines chantent des mantras, en position du lotus, à distance
raisonnable du centre. Les effets de la défunte sont brulés, ainsi que
des poudres, des encens, des branches de sapin,… Soudain, la famille et
les proches s’écartent du corps… et les vautours se précipitent, bientôt
4 étages d’oiseaux s’entassent les uns sur les autres, ça bouge, ça
crie, ça mord. Après quelques minutes, les volatiles sont chassés
difficilement… le corps a été « nettoyé »… Nous ne pouvons pas
distinguer les visages des proches.
De
multiples drapeaux de prières pour la défunte sont accrochés entre les
piliers de bois. Les couleurs sont joyeuses, les tissus multicolores
sont partout autour de nous. Les prières s’envolent dans le vent pour
l’âme qui part tranquille vers le Nirvana, ou à nouveau dans le Samsara,
le cycle des renaissances…
Le « travail »
continue. Le squelette est séparé et cassé. A nouveau, les vautours
emportent et dispersent le corps jusqu’au dernier morceau. Finalement,
si nous mourrons seul dans la Nature, c’est exactement ce qui se passe
pour notre corps, que je différencie de notre âme. Retour à la Terre
Nourricière, qui nous offre tout, tout au long de notre vie. Respect
parfait de notre environnement et de la Nature.
Est-ce
utile de mentionner les 3 minibus de chinois qui se succèdent. Quelques
photos sans impunité, debout très proche des funérailles, discussions
avec les proches sans retenue, et oooppp ils repartent aussi vite qu’ils
sont venus !
Nous laissons la famille en paix…
Maintenant, imaginez des tibétains assistant à
un enterrement en France, un enterrement catholique, le corps rigide et
froid est exposé quelques jours aux yeux de tous, avant d’être disposé
dans une boîte en bois, qui sera plongée dans la terre, le temps que le
corps soit dévoré par des verres de terre. Et imaginez ces mêmes
tibétains ébahis par cette pratique religieuse complètement folle, les
yeux écarquillés, essayant de comprendre, chuchotant derrière vous, vous
qui êtes envahis par la tristesse de la perte d’un proche. Imaginez ces
tibétains qui prennent des photos de ce moment très personnel de
recueillement, de retour à soi, de solitude, de deuil (Bien sûr, cet
article ne sera pas agrémenté de photo, vous vous en doutez, pour la
simple et bonne raison que je n’en ai pas prise, par respect pour la
famille). Je suis ici volontairement critique et caricatural
(Finalement, l’enterrement dans un cimetière est plutôt généreux avec la
nature aussi… ;)).
Je me suis donc permis de
vous raconter cette expérience, qui paraitra folle, incompréhensible,
barbare, etc. pour certains d’entre vous, dans le but de vous parler
d’une pratique que j’ai pu pousser plus loin ce jour là : « regarder
sans préjugés, sans jugement, sans étiquette ». Effectivement, c’est
encore la philosophie bouddhiste entre autres qui prône l’importance de
ne pas juger. Ne pas juger les situations et les évènements dont nous
sommes témoins, les idées mises en application ici et là, les gens
autour de nous, et surtout ne pas se juger soi-même ! Durant une
journée, des centaines, des milliers de pensées, de jugements nous
passent par la tête. Vrai ou faux ?! Je devrais faire plus de sport, je
devrais dépenser moins d’argent pour acheter des vêtements, je devrais
changer de travail, je devrais changer de maison, je devrais faire ci,
je devrais être comme ça, je déteste ça, j’aime ci… STOP !
Et à la fois, pourquoi pas…
Pour
ma part, je ressens que ces jugements qui nous traversent la tête tous
les jours, nous empêche de simplement vivre le moment présent, le
bonheur permanent…
Pour cela le voyage est un
excellent exercice, tous les jours depuis des mois, des situations, des
idées, des gens, des comportements, qui sont totalement nouveau pour
nous, arrivent devant nos yeux grands ouverts en permanence. Pas
toujours facile de mettre de côté nos préjugés à ce moment là… comment
ne pas juger ? ne pas étiqueter ? c’est bien, c’est mal ! Non, c’est
juste là, sous nos yeux, à cet instant précis !
En
effet, dès lors que nous jugeons ou étiquetons, il n’y a plus de
relation véritable possible, avec une situation ou un autre être humain,
et cela nous le faisons tout le temps ! Si nous entrons en relation
avec tous nos préjugés et expériences passées, nous ne nous laissons
même pas la possibilité à l’autre de nous montrer sa propre nature, tout
est bloqué dès le premier regard, celui qui amène tout de suite le
premier jugement. Laissons-nous le temps de la découverte ! Apprécions
cela et restons connecté au moment présent, accepter et lâcher prise…
Alors
maintenant que pensez-vous de la « barbarie des coutumes tibétaines
d’enterrement » ? Ne nous sommes t’on pas laissé emporter par nos
préjugés ? Ces funérailles célestes sont un beau symbole de
l’impermanence de la vie, un rappel à vivre le moment présent, vers le
bonheur, vers l’éveil, que cette personne a peut être atteint alors que
son corps expirait son dernier souffle.
Est-ce
que j’ai bien fait de publier cet article, je ne le sais pas encore…
j’espère qu’il aidera à l’ouverture d’esprit et l’acceptation de
l’autre, pour chacun d’entre nous… J’attends vos commentaires.
La
prochaine fois que vous rencontrez quelqu’un pour la première fois, ou
même lorsque vous croisez des gens dans la rue, essayez d’ « être le
témoin de vos propres pensées » envers cette personne ? Quels
jugements ? Quelles étiquettes ? Prenez-en conscience.
Ca doit faire drôle d'assister à ça. Merci pour cet article que j'ai trouvé très intéressant. Le jugement...
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