3 nov. 2013

Chemin de vie n°6 : Regarder, observer, expérimenter, comprendre,… le tout sans juger !

Plusieurs anecdotes pourraient être adéquates pour introduire cet article… je vais prendre des risques en choisissant cette histoire, en espérant que votre ouverture d’esprit vous aidera tous à comprendre la globalité de cette coutume tibétaine.

Ce matin là, nous étions donc 5 amis à se sortir très tôt de notre lit douillet à l’auberge de jeunesse de Langmusi, village touristique du Plateau tibétain (Région du Sichuan, mais proche de la frontière du Tibet). Nous avions entendu parler du « Sky Burial »… kesako ?! Le ciel ? Le feu ? L’enterrement ? Renseignements pris sur internet… Les funérailles célestes sont une coutume liée au bouddhisme et pratiquée par les tibétains dans les régions du Tibet, du Sichuan, du Yunnan et de la Mongolie Intérieure. Au cœur de la philosophie bouddhiste, nous retrouvons les concepts d’impermanence et d’éveil.  En effet, nous pouvons tous constater que nos vies sont jalonnées de différentes souffrances, causées en partie par l’impermanence de nos jobs, de nos possessions matérielles, de notre richesse, de notre pouvoir, mais aussi de nos relations, de nos émotions (positives ou négatives) et de la vie tout simplement. Tout est changeant à chaque instant. En particulier pour nous occidentaux, la plus grande peur de perte est souvent celle de perdre la vie, de mourir… et avant cela, de vivre la mort d’un ami, d’un proche. Or selon le bouddhisme, la recherche du bonheur passe justement par la libération de toutes ces souffrances, jusqu’à la mort d’un proche. A l’instar du Bouddha qui a réalisé l’ « éveil », en se détachant de toutes les souffrances du monde, nous pouvons sortir du cycle des réincarnations et vivre un bonheur permanent. Ainsi, si l’on accepte la possibilité de réincarnation (ou de non-réincarnation justement), ce corps de chair, de muscles et d’os nous sert de « véhicule » le long de notre chemin semé d’embuches (de souffrances) vers le bonheur, l’ « éveil » à la réalité de nos vies. Nul besoin alors de se réincarner à nouveau dans un « véhicule », qu’il soit humain, animal ou même végétal. Ou en tout cas, même si les boddhisattvas reviennent sur Terre pour aider chacun vers son propre bonheur, le corps humain n’a plus d’importance dès que l’on intègre l’idée de l’impermanence de toutes choses.

N’étant pas un expert du bouddhisme, et encore moins du bouddhisme tibétain et de ces particularités, je tiens à préciser que le contexte planté ci-dessus n’est qu’une synthèse de l’interprétation très personnelle de mes lectures et expériences des dernières années. De plus, les informations données sont donc parfois volontairement, parfois involontairement incomplètes, mais à mon sens, suffisantes pour comprendre ce que je vais vous raconter après.

L’aube apportait donc les premières lueurs du matin quand nous franchissions le grand portail décoré du Monastère de Sertri. Froid de canard. Un chemin nous mène vers le sommet de la colline sur laquelle sont construits les temps, les stupas et les maisons des moines. Plaines herbeuses, forêts de conifères et montagnes acérées à perte de vue, paysages tibétains ! Nous apercevons alors un grand espace couvert de drapeaux de prière. Un chemin bien tracé nous y mène, quelques vautours guettent notre arrivée sur la crête de la colline. Ces oiseaux semblent en effet d’une envergure impressionnante, plus de deux mètres pour certains ! Bon… le soleil se lève à peine et réchauffent enfin nos pieds et nos mains mais l’ambiance est glaciale…
Nous découvrons alors le lieu des funérailles… grosses pierres plates, très nombreux couteaux, des haches… pas très engageant mais nous y étions préparés… Les os (de toutes les parties de l’anatomie humaine) broyés et même quelques morceaux de chair et des crânes finissent de parfaire l’ambiance… nous montons nous asseoir plus haut sur la colline. Il est déjà « tard », pas de cérémonie aujourd’hui…

Quoique… quelques minutes plus tard, des 4*4 montent le chemin de terre… une quinzaine d’hommes tibétains en sortent, des grands sacs tissés de toutes tailles sont déchargés,… tout se passe très vite. Rapidement un corps de femme est extirpé d’un des sacs… et déposé sur les pierres plates. Des feux sont allumés et deux hommes commencent à entailler le corps pendant que les autres agitent les grandes manches de leurs vêtements pour éloigner les vautours qui désormais surgissent de toutes parts en planant, bientôt des dizaines, des centaines d’oiseaux sont posés sur la colline (Exactement là où nous étions assis plus tôt… maintenant, nous nous faisons tout petit, assis à 150m de la scène). De toutes les montagnes environnantes, des vautours volent vers nous…
Des moines chantent des mantras, en position du lotus, à distance raisonnable du centre. Les effets de la défunte sont brulés, ainsi que des poudres, des encens, des branches de sapin,… Soudain, la famille et les proches s’écartent du corps… et les vautours se précipitent, bientôt 4 étages d’oiseaux s’entassent les uns sur les autres, ça bouge, ça crie, ça mord. Après quelques minutes, les volatiles sont chassés difficilement… le corps a été « nettoyé »… Nous ne pouvons pas distinguer les visages des proches.
De multiples drapeaux de prières pour la défunte sont accrochés entre les piliers de bois. Les couleurs sont joyeuses, les tissus multicolores sont partout autour de nous. Les prières s’envolent dans le vent pour l’âme qui part tranquille vers le Nirvana, ou à nouveau dans le Samsara, le cycle des renaissances…
Le « travail » continue. Le squelette est séparé et cassé. A nouveau, les vautours emportent et dispersent le corps jusqu’au dernier morceau. Finalement, si nous mourrons seul dans la Nature, c’est exactement ce qui se passe pour  notre corps, que je différencie de notre âme. Retour à la Terre Nourricière, qui nous offre tout, tout au long de notre vie. Respect parfait de notre environnement et de la Nature.
Est-ce utile de mentionner les 3 minibus de chinois qui se succèdent. Quelques photos sans impunité, debout très proche des funérailles, discussions avec les proches sans retenue, et oooppp ils repartent aussi vite qu’ils sont venus !
Nous laissons la famille en paix…

Maintenant, imaginez des tibétains assistant à un enterrement en France, un enterrement catholique, le corps rigide et froid est exposé quelques jours aux yeux de tous, avant d’être disposé dans une boîte en bois, qui sera plongée dans la terre, le temps que le corps soit dévoré par des verres de terre. Et imaginez ces mêmes tibétains ébahis par cette pratique religieuse complètement folle, les yeux écarquillés, essayant de comprendre, chuchotant derrière vous, vous qui êtes envahis par la tristesse de la perte d’un proche. Imaginez ces tibétains qui prennent des photos de ce moment très personnel de recueillement, de retour à soi, de solitude, de deuil (Bien sûr, cet article ne sera pas agrémenté de photo, vous vous en doutez, pour la simple et bonne raison que je n’en ai pas prise, par respect pour la famille). Je suis ici volontairement critique et caricatural (Finalement, l’enterrement dans un cimetière est plutôt généreux avec la nature aussi… ;)).
Je me suis donc permis de vous raconter cette expérience, qui paraitra folle, incompréhensible, barbare, etc. pour certains d’entre vous, dans le but de vous parler d’une pratique que j’ai pu pousser plus loin ce jour là : « regarder sans préjugés, sans jugement, sans étiquette ». Effectivement, c’est encore la philosophie bouddhiste entre autres qui prône l’importance de ne pas juger. Ne pas juger les situations et les évènements dont nous sommes témoins, les idées mises en application ici et là, les gens autour de nous, et surtout ne pas se juger soi-même ! Durant une journée, des centaines, des milliers de pensées, de jugements nous passent par la tête. Vrai ou faux ?! Je devrais faire plus de sport, je devrais dépenser moins d’argent pour acheter des vêtements, je devrais changer de travail, je devrais changer de maison, je devrais faire ci, je devrais être comme ça, je déteste ça, j’aime ci… STOP !
Et à la fois, pourquoi pas…
Pour ma part, je ressens que ces jugements qui nous traversent la tête tous les jours, nous empêche de simplement vivre le moment présent, le bonheur permanent…
Pour cela le voyage est un excellent exercice, tous les jours depuis des mois, des situations, des idées, des gens, des comportements, qui sont totalement nouveau pour nous, arrivent devant nos yeux grands ouverts en permanence. Pas toujours facile de mettre de côté nos préjugés à ce moment là… comment ne pas juger ? ne pas étiqueter ? c’est bien, c’est mal ! Non, c’est juste là, sous nos yeux, à cet instant précis !
En effet, dès lors que nous jugeons ou étiquetons, il n’y a plus de relation véritable possible, avec une situation ou un autre être humain, et cela nous le faisons tout le temps ! Si nous entrons en relation avec tous nos préjugés et expériences passées, nous ne nous laissons même pas la possibilité à l’autre de nous montrer sa propre nature, tout est bloqué dès le premier regard, celui qui amène tout de suite le premier jugement. Laissons-nous le temps de la découverte ! Apprécions cela et restons connecté au moment présent, accepter et lâcher prise…
Alors maintenant que pensez-vous de la « barbarie des coutumes tibétaines d’enterrement » ? Ne nous sommes t’on pas laissé emporter par nos préjugés ? Ces funérailles célestes sont un beau symbole de l’impermanence de la vie, un rappel à vivre le moment présent, vers le bonheur, vers l’éveil, que cette personne a peut être atteint alors que son corps expirait son dernier souffle.
Est-ce que j’ai bien fait de publier cet article, je ne le sais pas encore… j’espère qu’il aidera à l’ouverture d’esprit et l’acceptation de l’autre, pour chacun d’entre nous… J’attends vos commentaires.

La prochaine fois que vous rencontrez quelqu’un pour la première fois, ou même lorsque vous croisez des gens dans la rue, essayez d’ « être le témoin de vos propres pensées » envers cette personne ? Quels jugements ? Quelles étiquettes ? Prenez-en conscience.

1 commentaire:

  1. Ca doit faire drôle d'assister à ça. Merci pour cet article que j'ai trouvé très intéressant. Le jugement...

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